par Olivier DUHAMEL ( vice président de l’association)
La place devant la gare de Montargis, qui n’avait pas de nom jusqu’à ce jour, a été récemment baptisée place « DENG Xiaoping », du nom du célèbre dirigeant chinois ayant séjourné dans notre agglomération lors de sa jeunesse, et inaugurée par la Vice-Première Ministre de Chine, Madame LIU Yandong accompagnée de douze ministres chinois, en présence entre autres du Préfet de Région, de l’Ambassadeur de Chine, du Sous-Préfet de Montargis et du Député-Maire de Montargis, Monsieur Jean-Pierre DOOR.
Il faut reconnaitre que, pour des personnes peu informées, il peut paraitre étrange qu’une place de notre agglomération porte le nom d’un chinois. Pour d’autres personnes, cela pourrait sembler scandaleux dans la mesure où elles ne verraient essentiellement en Deng Xiaoping que le responsable du dénouement dramatique des événements de la place Tian An Men à Pékin en juin 1989.
Un certain nombre de faits pourraient cependant être pris en compte avant d’exprimer des opinions ou des condamnations à l’emporte-pièce et de s’ériger en censeurs ou donneurs de leçons, ce qui, reconnaissons-le, est souvent un mal bien français.
Le jeune DENG n’avait pas encore 17 ans quand il est arrivé en France, dans un pays dont il ne connaissait ni la langue ni les traditions, à la suite d’un voyage improbable de plusieurs mois depuis sa province du Sichuan au fin fond de la Chine. C’est en 1922 qu’il est arrivé à la Gare de Montargis pour aller travailler à l’usine Hutchinson après avoir été ouvrier dans les usines du Creusot. C’est à Montargis qu’il a travaillé le plus longtemps pendant son séjour en France. Il faut reconnaitre qu’il fallait un grand courage pour s’engager dans un tel périple mais il était mu comme beaucoup de ces jeunes chinois du mouvement « travail-études en France » par le désir de trouver des réponses aux énormes problèmes de la Chine occupée à l’époque par les puissances étrangères et de tourner la page de la société féodale.
J’étais à Pékin en 2004 quand le Président chinois HU Jintao à prononcé un discours devant les centaines de représentants de toute la Chine lors du centième anniversaire de la naissance de Deng Xiaoping. Il a commencé ainsi : « Deng Xiaoping, a séjourné en France dans sa prime jeunesse ; quand il est parti, il était au sortir de l’enfance, à son retour il savait déjà ce qu’il allait faire de sa vie au service de son pays et de ses compatriotes… »
Deng Xiaoping avait l’habitude de dire qu’il n’avait pas pu suivre d’études mais que son école avait été l’école de la vie. Il a traversé tous les terribles soubresauts qu’a connu la Chine au XXème siècle, comme la longue marche dont il est dit que seulement un homme sur dix a survécu, la guerre sino-japonaise avec l’occupation de son pays et les massacres perpétrés par les japonais en particulier à Nankin, la terrible famine de la fin des années cinquante, tous événements qui firent des dizaines de millions de morts.
Il savait aussi que toute l’histoire de la Chine, depuis l’antiquité, avait été constellée, entre chaque phase dynastique brillante, de périodes troublées où, le pouvoir central s’affaiblissant, les revendications dans les provinces étaient récupérées par des potentats locaux, les seigneurs de la guerre. Les luttes intestines de factions qui s’en suivaient faisaient d’innombrables victimes avant qu’un nouveau pouvoir central finisse par s’imposer.
Nul doute que cela ait été présent à l’esprit des dirigeants chinois les plus intransigeants et de Deng Xiaoping qui l’était vraisemblablement beaucoup moins, quand ils ont vu que le mouvement démocratique et libertaire de 1989 faisait tache d’huile dans toute la Chine.
Il n’est pour autant pas question d’occulter les événements de Tiananmen tant il est émotionnellement insupportable qu’un régime quel qu’il soit tire sur sa jeunesse. Cela reste une tache indélébile même s’il apparait impossible et prétentieux d’ambitionner dicter une attitude éthique et réaliste à cet égard et à posteriori.
Cependant, pour avoir personnellement soutenu et participé physiquement aux manifestations de protestation des étudiants chinois à l’époque, je peux témoigner que le nom de Deng Xiaoping n’était pas parmi ceux qui étaient alors vilipendés.
Un fait historique peu médiatisé en France est la répression sanglante et brutale ordonnée par Jules Ferry lors de la destruction d’un grand chantier naval chinois de la province du Fujian en Chine. (ouvrage pourtant réalisé grâce au courage et à la volonté d’un officier de marine français). A cette époque, Jules Ferry avait publiquement traité les chinois et les asiatiques de race inférieure, ce en quoi il fut heureusement sévèrement critiqué par Clémenceau. Faut-il pour autant supprimer son nom de toutes les rues, places, collèges, lycées le portant au détriment de la reconnaissance de ce qu’il a apporté à l’école républicaine ?
Pour le peuple chinois, DENG Xiaoping est d’abord celui qui a principalement mis fin à la Révolution Culturelle responsable d’un million de morts en Chine. Il s’est courageusement opposé à la terrible Jiang Qing et à la bande des quatre pendant cette période où il était pourchassé et où sa vie était menacée. Rappelons que Jiang Qing, dernière femme de MAO avait mené de nombreuses purges et autorisé en tout et pour tout sept opéras révolutionnaires pour toute la Culture chinoise.
Il est aussi et surtout celui qui a ouvert la Chine au monde et a permis ainsi à des centaines de millions de chinois de manger à leur faim et d’accéder à plus de liberté même si le chemin est encore long. Son réalisme et son ouverture sont restés célèbres à travers ses fameux aphorismes : « Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc du moment qu’il attrape les souris » ou encore : « Un pays, deux systèmes ». Nul doute qu’il n’ait été influencé en cela par les expériences françaises et montargoises de sa jeunesse.
Il est inopposable d’affirmer que l’immense majorité de la jeunesse et du peuple chinois lui en sont extrêmement et définitivement reconnaissants.
Notre ville et sa population peuvent être fiers d’avoir bien accueilli à l’époque les jeunes progressistes chinois et de faire œuvre utile en s’appuyant sur cette page d’histoire pour continuer à développer l’amitié et la compréhension réciproques entre nos peuples. Montargis fait figure d’exemple en Chine et l’inauguration de la place Deng Xiaoping en est partie prenante. Elle est considérée comme un geste très amical envers le peuple chinois et une reconnaissance de l’épopée incroyable de ce petit chinois d’un mètre cinquante arrivé si jeune chez nous et qui a croisé notre histoire avant de participer fondamentalement à l’évolution du pays le plus peuplé du monde.
Il faut toujours promouvoir ce qui rassemble plutôt que ce qui divise, sans langue de bois mais en participant à la paix des peuples, à la compréhension mutuelle et à l’enrichissement culturel réciproque.
Ceci n’est, espérons–le, qu’une étape dans cette marche en avant qui n’a pu être réalisée que grandement grâce au travail acharné effectué depuis une quinzaine d’année par l’association Amitié Chine Montargis et sa présidente Madame le Docteur Wang et qui a permis à des centaines de montargois et de chinois de se rencontrer de s’apprécier et de construire en commun.
Olivier Duhamel