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2006

Montargis berceau de la Chine nouvelle

LE MONDE | 09.09.06 | 13h44 • Mis à jour le 09.09.06 | 13h44 

Régis Guyotat Article paru dans l'édition du 10.09.06




Sur un cliché de l'époque, les jeunes intellect uels chinois posent dans le jardin Durzy de Montargis, en juillet 1920.
 

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Sur un cliché de l'époque, les jeunes intellect uels chinois posent dans le jardin Durzy de Montargis, en juillet 1920.

D.R.



Il y a des souvenirs qui marquent. Dans la salle à manger de son pavillon, à Châlette-sur-Loing, l'ancien maire communiste de Montargis (Loiret), Max Nublat, 75 ans, raconte avec délectation sa rencontre avec Deng Xiaoping, le maître de la Chine.

 

C'était à Pékin, en août 1982. A sa sortie de l'avion, le bouillant élu contemple une banderole déployée : "Bienvenue à M. le Maire de Montargis". Les six autres élus français qui l'accompagnent - maires de Lyon et de Lille notamment - n'en croient pas leurs yeux. Ce jour-là, tous les honneurs sont pour la modeste sous-préfecture du Loiret. Une limousine est venue quérir le maire. Max Nublat est introduit dans un salon de la place Tiananmen, où se déroule l'un des premiers congrès du PCC après la mort de Mao. Une porte s'ouvre sur un petit homme. Deng Xiaoping en personne.

A l'élu français médusé, le nouvel homme fort de la Chine raconte que, dans les années 1920, il a travaillé, tout jeune garçon, en France à l'usine Hutchinson, près de Montargis. Il se souvient d'une femme chef d'atelier, une nommée " M me Rose" , qui "n'avait pas les yeux de la même couleur". Il se rappelle "avoir appris la valse, dans un dancing, La Gloire " , et surtout " avoir été verbalisé une nuit, rue de la Sirène , parce que son vélo n'avait pas de feux rouges" . Avec un tel luxe de détails, "il était impossible de penser qu'il ne soit pas allé à Montargis", confie Max Nublat. " Le ton était amical, presque ému ", se souvient-il encore. Dix minutes plus tard, Deng avait regagné la tribune du congrès.
Ho Chi Minh, Pol Pot... La France a servi de terrain d'apprentissage à bien des révolutionnaires du XX e siècle. On sait moins que les acteurs du Grand Bond en avant chinois y ont fait leurs gammes, découvrant le marxisme pour les uns, fortifiant des convictions socialistes déjà bien ancrées pour les autres.

De 1902 à 1927, 4 000 jeunes intellectuels sont venus étudier et travailler en France, en particulier à Montargis. Beaucoup sont devenus les cadres de la révolution chinoise. Montargis l'avait presque oublié. Pourtant, en Chine, depuis de longues décennies, la petite ville du Loiret est célébrée dans l'histoire officielle comme le berceau de la Chine nouvelle. "Sans la France , je ne sais dans quelle obscurité nous vivrions aujourd'hui" , a écrit un des pères du communisme chinois, Chen Duxiu.

A l'usine Hutchinson, à Châlette-sur-Loing, on peut encore voir l'atelier, construit par Gustave Eiffel, où fut employé Deng. On y fabriquait alors des galoches. Il avait 16 ans. En compagnie de 80 autres étudiants-travailleurs, le jeune garçon s'était embarqué le 27 août 1920 à Shanghaï sur l'André-Lebon, muni d'une recommandation du consul de France, Albert Bodard (père de Lucien).

Le mouvement Travail-Etudes avait été créé dès 1912 par un philanthrope, Li Shizeng, qui admirait la culture française et avait étudié à l'école agricole du Chesnoy, à Montargis. Ami de Sun Yat- Sen, le président de la jeune République chinoise, il était convaincu que la Chine avait besoin de l'Occident pour se développer.

Après la première guerre mondiale, le mouvement patronne le séjour d'étudiants peu argentés. Parmi ces privilégiés se trouve un groupe de jeunes intellectuels, originaires du Hunan, déjà fascinés par le socialisme. Il y a là la plupart des amis de Mao : Cai Hesen, Li Fuchun, Chen Yi. Il y a aussi de très jeunes femmes, Xiang Jinyu, et la soeur de Cai Hesen, Chang. Le jeune Mao Zedong, lui, n'est pas du voyage. "Maigre, dans sa robe de coton délavé", il s'est contenté d'accompagner ses amis sur le quai. Pourquoi ? Les biographes en discutent encore. "J'avais encore beaucoup plus à apprendre sur mon propre pays", confiera-t-il plus tard. C'est la version officielle. Outre le manque d'argent, il semble que Mao avait peu d'oreille pour les langues. Le groupe du Hunan est arrivé en France dès 1919, un an avant Deng. Il s'est installé à Montargis. Les garçons, au collège, sont pris en charge par l'instituteur Chape au, les filles, à l'école du Chinchon, par M me Dumont (mère de l'agronome René Dumont).

Les joutes politiques se poursuivent entre ceux, qui autour de Cai Hesen, brillant théoricien, veulent suivre la voie de la révolution russe, et ceux qui prônent la réforme. Ils se réunissent au jardin Durzy. Venu de Paris, un certain Zhou Enlai se joint parfois au groupe, entre deux parties de tennis chez des amis français.

On peut encore s'asseoir aujourd'hui sur les bords du bassin romantique, orné d'un cyprès nain, où, du 6 au 10 juillet 1920, Cai et son amie Xiang Jingyu exposaient avec passion leur programme pour "sauver la Chine et le monde" . Le 13 août suivant - quatre mois avant le congrès de Tours qui divise la gauche française -, Cai écrit une lettre à son ami Mao. Il lui propose la création du Parti communiste chinois (PCC) qui constituera "l'avant-garde et le commandement de la révolution". Le 1 er décembre, Mao lui envoie son accord. Le PCC est créé en juillet 1921 dans la concession française de Shanghaï.

Un cliché de l'époque montre le groupe dans le jardin Durzy. La mise est impeccable, les regards sont conquérants. On sent qu'une aventure intellectuelle se noue. Mais ces jeunes n'oublient pas de vivre. En flânant le long des canaux qui traversent la "Venise du Gâtinais", Cai Chang est tombée amoureuse de Li Fuchun, Xiang Jingyu de Cai Hesen. La légende locale veut que les deux couples se soient mariés dans une gargote nommée Le Radis rouge, et que parmi les témoins aient figuré Deng Xiaoping et... Ho Chi Minh.

Rentrés en Chine fin 1921, Xiang Jinyu et Cai Hesen se lancent dans la lutte. Livrés par l'occupant colonial aux nationalistes, ils périront, atrocement suppliciés, respectivement en 1928 et en 1931, et seront parmi les premiers à entrer dans le panthéon communiste. Li Fuchun (futur économiste du parti), Chen Yi (maréchal, puis chef de la diplomatie), et bien d'autres "anciens de Montargis" feront une carrière au plus haut sommet de l'Etat.

Quand à Deng Xiaoping, le plus jeune, il ne rejoint pas immédiatement Montargis. Deng, en 1920, est d'abord accueilli dans une école, à Bayeux, où son pécule fond. Puis il travaille dans la fournaise des laminoirs du Creusot, dans la banlieue parisienne. Il y découvre, écrira sa fille plus tard, "la misère du prolétariat". Il y rencontre surtout Zhou Enlai, son aîné de 6 ans.

en février 1922 qu'il se fait finalement embaucher par l'usine Hutchinson, à Châlette, sous le nom de "Teng Hi Hien". Le "charmant" garçon, comme on le décrit alors, a été recommandé par le consul de France. Il est bon vivant, peu politisé. Il devient bientôt militant communiste, prompt à dénoncer les "chacals du capitalisme". Il fait deux séjours à Hutchinson, du 14 février au 17 octobre 1922, et du 2 février au 7 mars 1923, logeant dans une grange près de l'usine. Sa fiche d'embauche porte ce commentaire : "A refusé de travailler, ne pas reprendre". C'est qu'il est devenu un révolutionnaire professionnel. Il travaillera ensuite chez Renault à Billancourt.

 

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